Journaliste � la rubrique internationale du quotidien la Tribune, Akram Belka�d est l'auteur du livre �
Un regard calme sur l'Alg�rie � aux �ditions du Seuil. Un ouvrage indispensable � lire pour mieux comprendre les enjeux actuels de la soci�t� alg�rienne.
Dans votre avant-propos, vous affirmez vous exprimer en tant que d�mocrate. Qui sont justement les d�mocrates dans un pays comme l'Alg�rie o� l'opposition politique n'est que formelle ?
Le fait est que l'aspiration d�mocratique ne se retrouve aujourd'hui dans aucun parti politique. Des millions d'Alg�riens ressentent le besoin d'une vraie d�mocratie et d'un vrai Etat de droit mais ils constatent que les partis d'opposition sont enferr�s dans un jeu convenu dont le pouvoir contr�le tous les m�canismes. Pire, ils se rendent compte aussi que ces partis sont marqu�s par le culte de la personnalit� et qu'il n'ont rien de d�mocratique dans leur fonctionnement interne. C'est bien le drame de l'Alg�rie actuelle et cela pose la question du fait politique. Un parti qui se r�clame de la d�mocratie doit renouer avec le terrain, reprendre avec patience le fil du dialogue avec la population et abandonner les joutes de salon. C'est en quelque sorte par cette refondation que passe l'avenir du mouvement d�mocrate et donc de l'Alg�rie.
Vous �voquez dans votre livre le poids du r�gionalisme en Alg�rie en insistant particuli�rement sur le danger d'une radicalisation berb�riste que le r�gime alg�rien n'h�sitera pas � manipuler pour se maintenir en place, comme il a pu le faire avec les islamistes
Je pense effectivement que l'Alg�rie est malade du r�gionalisme et de la � 'a�abiya � d�crite en son temps par Ibn Khaldoun. Trop souvent en Alg�rie, le r�gionalisme sous-tend les d�cisions politiques. Et il y a bien s�r la question berb�re. J'ai tenu d'abord � rappeler une v�rit� qui est souvent pass�e sous silence : les Alg�riens sont tous des berb�res et leur part d'arabit� s'inscrit plus dans le registre culturel qu'ethnique. La vraie distinction r�side dans le fait que certains sont berb�rophones et d'autres arabophones. Il est temps que l'on sorte des ces identit�s mythifi�es que le colonialisme a exacerb� et que l'on retrouve en France avec le clich� � du bon kabyle � que l'on oppose � � l'Arabe dont il faut se m�fier �. Pour ce qui est de la radicalisation berb�riste, je crains en effet la convergence de deux forces n�gatives : d'une part, la capacit� manipulatrice d'un pouvoir qui a montr� qu'il �tait capable de tous les coups tordus possibles pour se maintenir et, d'autre part, l'�mergence d'un mouvement dit � autonomiste � au discours ambigu mais qui laisse clairement entendre que la Kabylie peut avoir un destin diff�rent de celui de l'Alg�rie. Je suis d'autant plus vigilant que ce discours autonomiste kabyle est soutenu en France par des milieux proches des n�o-conservateurs am�ricains.
Dans votre chapitre relatif � la violence en Alg�rie, vous �crivez au risque de choquer qu'il y a dans ce pays une culture de la sacralisation de la violence h�rit�e de la lutte contre le colonialisme. Comment � votre niveau avez-vous per�u cette sacralisation ?
Je parle plus d'une � glorification de la violence �. On n'a pas le droit de r�fl�chir ni d'interroger cette violence qui a caract�ris� la Guerre d'ind�pendance. Permettez-moi d'�tre pr�cis : il ne s'agit pas de remettre en cause l'ind�pendance, loin de l� et je m'inscris d'ailleurs dans mon livre dans le courant qui d�nonce la r�surgence en France d'un v�ritable mouvement r�visionniste qui tend � nous faire croire que b�nie, �tait la p�riode coloniale ! Bien au contraire, je souhaite que la France, par le biais de ses plus hauts dirigeants, demande pardon aux Alg�riens pour la colonisation et la Guerre d'Alg�rie. Mais cela ne doit pas emp�cher les Alg�riens de r�fl�chir au fait qu'ils ont tendance � glorifier la violence et � la pr�senter comme le seul moyen de r�gler des conflits. Durant mon enfance dans les ann�es 1970, j'ai souvent entendu des adultes nous expliquer que les � vrais hommes sont ceux qui �gorgent �, que le seul moyen de r�gler un probl�me, c'est d'user des poings, etc... Quand on sait le niveau de violence qu'a connu l'Alg�rie durant les ann�es 1990, on est oblig� de d�noncer cette culture et de plaider pour qu'enfin, �merge un discours moins belliqueux. Il y a d'autant plus urgence que des dizaines de milliers d'enfants ont �t� traumatis� par cette violence et que le pouvoir alg�rien ne semble gu�re s'en inqui�ter.
Vous pr�nez un dialogue avec les islamistes alg�riens, tout en estimant qu'il ne faut pas abandonner le terrain de la pens� musulmane � ces derniers. Mais peut-on �laborer une pens�e ind�pendante du r�gime dans un pays caract�ris�e actuellement par un verrouillage de la vie politique ?
La vie politique est verrouill�e certes, mais on n'est plus � l'�poque o� le r�gime pouvait interdire aux gens de lire ou de publier. A l'heure de l'internet, on peut ais�ment contourner la censure. Il y a une telle masse d'�nergie en Alg�rie et de talents, qu'il faut encourager les gens � s'impliquer dans le d�bat intellectuel y compris � l'ext�rieur de l'Alg�rie. Cela s'inscrit dans la notion de refondation du mouvement d�mocrate que je viens d'�voquer. Dialoguer avec les islamistes, s'impliquer dans les d�bats qui agitent la communaut� musulmane - et les th�mes ne manquent pas - c'est s'engager dans un mouvement qui porte sur le long terme et qui d�bouchera un jour ou l'autre sur la chute de ce pouvoir. J'en suis persuad�.
Vous revenez dans votre livre sur le scandale Khalifa. Selon vous la constitution de son empire ne saurait s'expliquer par le blanchiment de l'argent des g�n�raux alg�riens. Comment expliquez-vous � la fois sa fulgurante ascension et sa chute ?
Khalifa a surtout b�n�fici� de passe-droits. C'est gr�ce � ses relations que la bureaucratie alg�rienne n'a pas pu faire obstacles � ses projets de cr�ation d'une banque ou d'une compagnie a�rienne quant tant d'autres entrepreneurs ne pouvaient obtenir le moindre agr�ment. Ensuite, ces m�mes soutiens ont oblig� les entreprises publiques et les administrations � domicilier leurs avoirs financiers dans la banque de Khalifa. C'est avec ce tr�sor de guerre, de l'argent public et l'�pargne des particuliers, que cet homme d'affaires a pu internationaliser son activit�. Comme je l'explique dans mon livre, la th�se du blanchiment est absurde car pourquoi la mafia politico-financi�re alg�rienne voudrait-elle blanchir son argent ? Qui, en Alg�rie comme ailleurs, l'y oblige ? Quant � la chute brutale de Khalifa, elle r�sulte � mon avis de deux facteurs principaux. Le premier est que l'on ne g�re pas un groupe qui se veut international comme on g�re une boutique de fruits secs. L'incomp�tence de Khalifa et de son entourage direct l'a men� � de vraies difficult�s notamment financi�res. Le second facteur concerne l'obsession m�diatique de cet homme d'affaires et son attirance pour les paillettes et le show-bizness. Il s'est visiblement r�v� un destin national qui a mis en rogne Bouteflika. Mais une chose est s�re, en Alg�rie comme en France, cette affaire n'a pas livr� toutes ses v�rit�s.
Le r�gime des g�n�raux alg�riens para�t ind�boulonnable. Vous affirmez vous-m�me c�der parfois � la tentation de l'homme providentiel qui viendrait instaurer la d�mocratie en Alg�rie. Ce r�gime peut-il encore se r�former de l'int�rieur ?
Je ne le crois pas. C'est pour cela que je suis aussi s�v�re avec le courant d�mocrate qui, en se compromettant, contribue � la survie de ce r�gime. Je pense que l'opposition doit couper les ponts avec ce pouvoir et s'en tenir � une nette strat�gie d'affrontement politique et pacifique. Il faut dire non � ce pouvoir. Cela finira par payer un jour � condition que � l'offre � politique des d�mocrates soit coh�rente et bien comprise par les Alg�riens y compris pour les questions qui touchent � la place de la religion. Quant � l'homme providentiel, c'est, comme je l'explique dans l'ouvrage, une construction paresseuse de l'esprit engendr�e par le d�couragement face au statu quo alg�rien.