T�l�rama, 1er juin 2005

Il est des livres qui demandent une attention soutenue - parce que le sujet est grave -, mais dont la probit� intellectuelle qui y pr�side est telle qu�ils font honneur � leur auteur comme aux lecteurs auxquels ils s�adressent. C�est le cas avec cet ouvrage d�Akram Belka�d, qui analyse l�Alg�rie de ces derni�res ann�es. Si celui-ci se garde de ne jamais verser dans le pamphlet, le constat qu�il dresse n�en est pas moins impitoyable. L�auteur se pr�sente comme " un d�mocrate qui renvoie dos � dos le pouvoir et les islamistes, arm�s ou non, et qui demeure convaincu que le peuple alg�rien m�rite bien mieux que le sort qui lui a �t� fait depuis l�ind�pendance ". Une ligne de cr�te qui n�est jamais une ligne de fuite, car recenser tous les maux qui d�chirent l�Alg�rie requiert de la part de celui qui les d�cortique un courage physique - l�auteur a souvent �t� menac� - et intellectuel.

En t�te des griefs, si l�on peut employer ce mot sans en adoucir le sens, figure le pouvoir : une sorte de " coterie f�odale " assez d�licate � circonscrire mais qui se maintient par ses pratiques : corruption, strat�gies de clans, captation abusive d�une l�gitimit� politique, violences polici�res. Et, surtout, par une incomp�tence coupable dans tous les domaines, qu�il s�agisse de la sant�, de la crise du logement, des pand�mies persistantes, de l��conomie de " bazar ", de la gestion des r�voltes populaires ou de l�absence de tout projet politique et de toute ambition pour le pays qu�il est cens� diriger, dont 14 millions des habitants vivent encore sous le seuil de pauvret�. Un pays, l�Alg�rie, qu�une " guerre civile " a rendu exsangue, que le r�gionalisme morcelle et que les traumatismes engendr�s par une violence �rig�e abusivement en mythe fondateur affaiblissent d�ann�e en ann�e. Un pays aussi qu�Akram Belka�d donne � voir et � comprendre en se tenant toujours au plus pr�s du quotidien de ses habitants. C�est le grand m�rite de cet ouvrage, en effet, d�offrir des portraits qui, chacun � sa fa�on, qu�il soit celui d�un professeur int�gre, d�un savant assassin�, d�un " fr�rot " barbu, d�un militaire ou d�un adolescent � la d�rive, incarnent un itin�raire et un versant de la soci�t�.

Akram Belka�d, aujourd�hui journaliste � Paris, a quitt� l�Alg�rie en 1995, apr�s avoir fait des �tudes d�ing�nieur et collabor� � divers journaux. Cette double appartenance, on devrait dire cette double d�chirure, lui autorise ce " regard calme " qu�il revendique dans le titre de son livre. Si Akram Belka�d d�nonce sans euph�misme le machisme st�rile qui gangr�ne encore les mentalit�s ou les armes � feu dont la possession traduit la terreur qu�ont ressentie les gens face aux tueries et aux faux barrages, il ne se r�fugie pas dans le r�le de celui qui, du Continent, fustige son pays. Il pointe les dossiers qu�il faut r�gler, notamment pour que les relations entre la France et l�Alg�rie sortent des politesses ou des roueries diplomatiques. Les malentendus franco-alg�riens ne se dissiperont, affirme-t-il, que lorsque la France reconna�tra son enti�re responsabilit� colonisatrice, depuis 1830, et que l�Alg�rie d�passera le culte rouill� de sa guerre d�ind�pendance. Un livre qu�il faut lire pour comprendre l�Alg�rie d�aujourd�hui et y trouver l�espoir, entre " la gangr�ne et l�oubli ", de voir celle-ci trouver sa voie d�mocratique.