Les livres sur l�Alg�rie se font de plus en plus rares, preuve, peut-�tre, que la situation dans ce pays est entr�e dans une phase de " normalit� " apr�s la terrible trag�die des ann�es 1990. Raison de plus pour poser Un regard calme sur l�Alg�rie, comme le propose Akram Belka�d (1). Le m�rite essentiel de cet ouvrage � r�dig� par un journaliste qui a quitt� le pays en 1995, mais qui y a conserv� de nombreuses attaches familiales, amicales, professionnelles � est de sortir des appartenances id�ologiques tranch�es.

Pendant de nombreuses ann�es, il fallait dire, d�embl�e, si l�on parlait � partir du camp des " �radicateurs " (les partisans de la guerre totale contre l�obscurantisme religieux) ou de celui des " dialoguistes " (favorables � un accord avec les islamistes). Le livre d�Akram Belka�d se propose de d�passer ces clivages devenus artificiels en d�voilant des aspects bien peu observ�s.

L�auteur ne s�arr�te pas � la complexit� des rivalit�s de clans, des haines personnelles et des int�r�ts �conomiques. Sous sa plume, la succession des �v�nements qui ont plong� le pays dans une impitoyable guerre civile prend un tour nouveau. Il raconte ainsi, � partir d�exp�riences personnelles, l�incroyable mont�e islamiste dans les ann�es 1980. Parfois une simple anecdote vaut plus que cent discours. Il assiste par hasard aux obs�ques de Cheikh Soltani, un des leaders fondamentalistes, et d�couvre, abasourdi, les regards de haine, la d�termination terrible des militants d�un genre nouveau, v�tus du khamis (la tenue traditionnelle afghane) faisant irruption � Alger en... 1984. Les concerts de ra� de 1986 sont le th��tre d�une puissante d�monstration de force d�une jeunesse impatiente, d�sesp�r�e et press�e d�en d�coudre avec le pouvoir. Et les �meutes d�octobre 1988 lui permettent de voir de tr�s pr�s la fa�on dont l�Etat alg�rien r�pond � cette jeunesse.

Mais l�auteur ne se contente pas de fustiger les responsables et les islamistes qui menacent avec un projet de soci�t� tout droit venu du Moyen Age : il s�attaque aussi au " camp d�mocrate ", incapable de s�adresser � la soci�t�, de surmonter ses divisions, et, pour certains de ses membres, d�sireux de r�former " de l�int�rieur " un syst�me h�rit� d�un temps o� l�autoritarisme d�un parti unique r�gnait en ma�tre (le parall�le entre l�effondrement des syst�mes sovi�tique et alg�rien est saisissant).

Puis c�est la plong�e dans l�horreur, et Akram Belka�d n�h�site pas, pour qualifier cette p�riode cruelle, � dire que l�Alg�rie a, en fait, connu une v�ritable " guerre civile ". Ce terme, les partisans du syst�me ont �vit� de l�utiliser pendant des ann�es, minimisant la gravit� de la situation. " Quand des Alg�riens en tuent d�autres, quand des familles pleurent des disparus, quand les forces de l�ordre ont recours � des m�thodes exp�ditives au m�pris de la loi, mais aussi quand une r�gion enti�re, en l�occurrence la Kabylie, finit de guerre lasse par se r�volter contre le pouvoir central, il faut bien admettre, qu�on le veuille ou non, que l�Alg�rie a v�cu, depuis 1992, une situation de guerre civile. "

Tr�s loin des discours qui veulent tout expliquer � partir des forces occultes agissant dans les labyrinthes obscurs du pouvoir, Belka�d s�interroge, de cette sombre p�riode jusqu�� nos jours, du point de vue de la soci�t� silencieuse... et conservatrice. Il �voque la condition des femmes qui auraient �t� sauv�es par l�intervention de l�arm�e : " Sait-on comment elles vivent dans l�Alg�rie des ann�es 2000 ? Comme hier. Les filles sans voile sont suspectes, la jeune femme ne se marie pas sans l�accord de son tuteur ; le m�le peut prendre quatre �pouses ; pour les jeunes du quartier et leur m�re, la voisine divorc�e est une catin ; r�pudier sa compagne est plus rapide que surfer sur Internet ; la femme de m�nage qui travaille dans une base p�troli�re du Sud est viol�e par des voyous mais la justice ferme l��il. Pour les femmes, l�Alg�rie, ce n�est pas l�int�grisme du FIS, mais cela y ressemble fort. "

Ce livre est bien plus qu�un r�cit d��v�nements qui ont frapp� l�Alg�rie. Il ouvre une r�flexion sur les blocages et les archa�smes des soci�t�s m�diterran�ennes, arabes, musulmanes ; et permet de voir les combats livr�s, � l�int�rieur du pays, pour la d�mocratie politique.